Auparavant, dans un précédent roman
intitulé ‘’La Madone du désert’’, Geneviève Chauvel avait raconté la naissance
de l’Irak, premier Etat arabe de l’histoire moderne. Sous l’influence d’une
femme anglaise hors du commun, Gertrude Bell avait compris l’âme arabe. Elle
s’est rendue compte que l’Histoire n’est pas suffisante pour comprendre un
peuple. Et pour les Arabes en particulier, il faut connaître l’Islam, la base
de sa culture. Son imaginaire a surfé sur l’exégèse et la genèse, le contexte
dans lequel le Prophète et ses compagnons ont pu répandre la nouvelle
religion. Qui était sa femme préférée, sa bien-aimée, Aïcha, qui fut sa
compagne bien-aimée pendant les dix années de Médine et qui a défendu son
Message pendant les quarante-sept ans où elle lui a survécu ? Pour ce roman,
nous avons tâté le pouls de la Mosquée de Paris : Elle n’a pas franchi les
lignes rouges, nous dit M. Djelloul Seddiki, un des hommes clés de Dallil
Boubakeur, recteur de la Mosquée. Toutes les scènes décrites sont référencées
et, en tant que chrétienne, elle constitue un vrai pont entre nos deux
religions. M. Sedekki, directeur de l’institut de théologie de la Grande
Mosquée de Paris, a préfacé le roman de Mme Geneviève Chauvel.
Le Midi Libre : Quelles ont été vos
motivations pour l’élaboration de ce courageux travail ?
Geneviève Chauvel : Bien sûr, vous vous demandez comment, et surtout
pourquoi, une Occidentale chrétienne a eu l’idée de s’intéresser à un
personnage comme Aïcha, l’épouse du Prophète . De se plonger dans les débuts
de l’Islam. Je pense, aujourd’hui, que c’était écrit. Mektoub, comme vous
dites en arabe.
Je suis née à Fréjus, j’ai passé près de trois ans en Syrie, au bord de
l’Euphrate, et j’ai grandi à Alger. Toute mon enfance et mon adolescence ont
été baignées par la juxtaposition des deux cultures. L’Orient et l’Occident se
mélangeaient chaque jour sous mes yeux et à mes oreilles. Dans les paysages du
bled et dans les rues d’Alger. Mes études de droit, je les ai faites à la
Faculté d’Alger, au-dessus du tunnel des Facultés, au-dessus de l’Otomatic.
J’ai quitté cette ville en 1961 quand j’ai épousé un journaliste du Figaro,
Jean François Chauvel, qui couvrait les «événements», comme on disait. Et je
suis arrivée à Paris, bien décidée à oublier l’Algérie, mon passé….
Mais, voyez-vous, le destin est sournois. Je découvrais à mes dépens, que mon
grand reporter de mari était un spécialiste du monde arabe, et comme ce monde
était très perturbé, il s’en allait, très souvent, vers des pays du
Proche-Orient qui m’étaient étrangers. Je n’aimais pas cette solitude. Un
jour, il m’a emmenée avec lui. J’ai découvert le Liban, la Syrie, et surtout
l’Arabie, autour de Riyadh, Djeddah, les bédouins, le désert, des Arabes qui
ne ressemblaient pas aux Algériens, et j’ai commencé à m’intéresser à
l’Histoire du peuple arabe.
Pour voyager avec mon mari, je suis devenue photographe et mes photos
illustraient ses articles, avant d’être publiées dans divers magazines par
l’agence Gamma, puis Sygma. J’ai rencontré tous les chefs d’Etat arabes de
l’époque, le roi Fayçal d’Arabie, le roi Hussein de Jordanie, les présidents
Saddate, Hafez el Assad, Amine Gemayel, le prince cheikh Zayed d’Abou Dabi, et
aussi Kadafi quand il a pris le pouvoir en Libye. Je les ai tous
photographiés, interviewés. Un jour, riche de tous ces voyages et de ces
rencontres, j’ai voulu écrire, et ce fut «Saladin, rassembleur de l’Islam». Je
remontais aux Croisades pour mettre en scène la première confrontation entre
l’Orient et l’Occident. Islam contre chrétienté.
Pourquoi avez-vous opté pour la forme romanesque pour raconter l’histoire
de Aïcha, la bien-aimée du Prophète ?
Les livres sur l’Islam sont nombreux, et souvent hermétiques pour les
non-initiés. La forme romanesque touche un plus grand public qui aime
découvrir l’Histoire avec ses faits quotidiens. Et la naissance de l’Islam fut
une grande aventure humaine, celle du Prophète qui restait un homme, et celle
de ces premiers compagnons qui ont cru en lui et l’ont suivi contre vents et
marées. La vie quotidienne de ces premiers musulmans dans une Arabie où
vivaient déjà des communautés chrétiennes et des tribus juives.
Certains passages paraissent choquants. Comment les présentez-vous au
lecteur algérien ?
Votre question m’étonne. A la différence de la religion chrétienne, l’Islam
n’a jamais considéré le sexe comme un tabou. Seriez-vous soudain influencé par
l’hypocrisie judéo-chrétienne ? Comment pouvez-vous être choqué par mes scènes
d’amour qui n’ont rien de provocant ? Certains éditeurs ont refusé ce
manuscrit en le considérant comme un roman rose, trop gentillet pour ce genre
de scènes.
N’oubliez pas que le Prophète disait : «Dieu a fait que j’aime les femmes et
les parfums… et la prière me rafraîchit les yeux !» Il disait aussi que
l’amour est un don de Dieu à l’homme et que cet acte est une façon de lui
rendre grâce.
En écrivant ce livre, j’ai découvert que le Prophète a été une sorte de
révolutionnaire pour les femmes. Il leur a donné un statut qu’elles n’avaient
pas dans leurs tribus bédouines. Elles n’étaient rien qu’une marchandise,
quand on ne les noyait pas à la naissance. Le Prophète leur a attribué des
droits, celui de recevoir une instruction, le droit au savoir, celui d’hériter
de leurs parents, celui d’avoir un travail et de gérer leurs biens, celui de
recevoir une compensation du mari en cas de divorce. Et celui d’être bien
traitées par le conjoint. Lui-même s’est emporté contre les hommes qui usaient
de violence. «Comment pouvez-vous traiter vos femmes comme des ennemis sur le
champ de bataille, et les mettre ensuite dans vos lits ?» Il a dit aussi : «Le
meilleur des hommes est celui qui est bon avec sa femme.» Il a dit aussi : «Le
paradis est sous les pieds des mères.»
Une autre question se pose souvent au sujet du Prophète. Le nombre de ses
femmes. Encore une fois, à son époque les hommes prenaient les femmes et les
répudiaient autant de fois qu’ils voulaient. Mohamed a limité le nombre à
quatre épouses et imposé l’équité absolue. Si cette dernière ne peut être
respectée, il conseillait une seule épouse afin de bien la traiter. Lui-même
s’est permis jusqu’à dix épouses parce que Dieu, par la voix de l’Archange
Gabriel le lui permettait. Il était le Messager et avait droit à certains
privilèges de chef d’Etat pour sceller des alliances de tribus et agrandir la
Umma.
Promise au Prophète à l’âge de 6 ans est une vérité qui peut choquer
également. Voulez-vous nous mettre dans l’ambiance du contexte historique ?
Il ne faut pas oublier que nous sommes au VIIe siècle. Dans ces tribus du
désert, les filles qui n’étaient pas noyées à la naissance, étaient promises
dès le berceau, parfois, pour des alliances matrimoniales fructueuses. Aïcha
devient la fiancée du Prophète quand elle a six ans et attendra sa puberté
pour l’épouser. Si vous regardez ce qui se passait en Europe à la même époque,
ce n’est pas très différent. Les filles étaient mariées très vite après leur
puberté. Au Moyen Age, il est courant de voir des filles de douze ans épouser
des hommes de trente ou quarante ans, voire plus, et d’être enceintes
aussitôt. En Occident, la puberté est plus tardive qu’en Orient. Le cas de
Aïcha n’est pas exceptionnel, compte tenu des mœurs et coutumes de l’époque.
Nous ne pouvons juger avec notre mentalité d’aujourd’hui ce qui se passait, il
y a quinze siècles.
Quel a été le rôle de Aïcha avant et après sa mort ?
Après Khadidja, et à des degrés différents, Aïcha a été la femme la plus
importante dans la vie du Prophète. Une femme enfant qu’il a éduquée dans tous
les domaines, dont il a façonné l’esprit, qu’il a formée à tous ses désirs. Le
rêve secret de tout homme, non ? Il avait une telle confiance en elle qu’il
répondait : «Va voir Aïcha, elle est la moitié de la religion» quand on lui
posait une question sur le dogme et qu’il n’avait pas le temps de répondre.
Elle a eu l’immense privilège d’être présente quand l’Archange Gabriel venait
faire une révélation. De toutes les épouses, elle fut la seule.
Au moment de l’affaire du collier, elle a été calomniée par beaucoup de monde
dans l’entourage du Prophète, et en particulier par Ali. Le Prophète en a
beaucoup souffert, au plus intime de son être. Avec les années, il a eu des
coups de cœur, comme avec Zeinab, la femme de son fils adoptif, ou Maria la
Copte qui lui a donné un fils, mais il revenait toujours à Aïcha avec un
sentiment très particulier. Et c’est chez elle, qu’il a tenu à vivre ses
derniers jours, ses derniers instants. Aïcha répétait souvent : «J’ai bu son
dernier souffle».
Elle se sent dépositaire de son Message et au cours des années qui vont
suivre, elle rappellera la vérité de l’interprétation du Coran par le Prophète
lui-même dont elle fut l’élève très privilégiée.
Il y aura le terrible épisode de la «bataille du chameau» où elle s’est
laissée convaincre de diriger une armée destinée à venger la mort du calife
Uthman. Elle finira par affronter l’armée d’Ali au nord de Bassorah. Quinze
mille hommes seront tués et le seul reproche qu’on lui fait est d’avoir violé
le verset du Coran qui lui imposait de rester dans sa maison en temps que
veuve du Prophète.
Lorsqu’elle revient à Médine, elle s’impose une pénitence sévère, jeûne,
prière, isolement, et surtout l’étude de la religion. Elle deviendra une
grande savante et laissera 2.210 hadiths. Grande experte en exégèse coranique,
jurisprudence féminine, elle a formé les grands maîtres comme Abou Horeira, et
a créé la première école coranique près de la mosquée, près de sa chambre où
repose le Prophète entre ses deux compagnons Abou Bakr et Omar, et qu’elle a
ouverte au public et qui fut, par la suite, transformée en mausolée.
Quelles sont les critiques ?
Les lecteurs non musulmans me disent qu’ils comprennent mieux l’Islam en
suivant cette grande épopée. Les lecteurs musulmans me disent qu’ils trouvent
dans mon livre des éléments qu’ils ignoraient. L’ambassadeur d’Arabie Saoudite
se méfiait de la forme romanesque et a convenu que cette forme était
séduisante pour un public occidental. Il a lui-même découvert des choses.
Une éventuelle présentation en Algérie et au Monde musulman...
Si cela pouvait se faire, ce serait une grande émotion. Revenir à Alger que je
n’ai pas revue depuis 1961, et offrir à mes concitoyens cet ouvrage sur Aïcha
qui me permet, aujourd’hui, de les mieux comprendre et d’ouvrir un dialogue
d’amitié.
Aïcha la bien aimée du Prophète
Edition Télémaque 2007, Paris